C’était une belle journée d’automne.
Une inquiétude l’habitait, une angoisse diffuse, l’attente d’un coup de téléphone incertain.
Elle décida d’aller chercher des branchages dans la forêt, elle avait une idée en tête, une envie de réalisation à laquelle elle pensait depuis quelques temps, elle ressassait la nuit et l’image était toujours la même : la neige.
Des branchages, oui, pas n’importe lesquels, brindilles souples et graciles, branches tordues, torturées, rameaux tourmentés. Pas facile sous l’épais tapis de feuilles rousses crissantes de trouver ce qu’elle voulait pour concevoir un petit bois miniature qu’elle imaginait baigné de blanc.
Elle rentra chez elle avec son fagot, elle tria, nettoya, élagua les branches, sa peur s’était légèrement dissipée. Elle se mit à confectionner des personnages, un groupe de copains peut-être, en randonnée une journée d’hiver, ils auraient envie d’être ensemble, ils seraient dix, onze, ou douze, elle ne savait pas, mais tous semblables, pas très grands mais élancés, dans la même position, la tête en arrière vers le ciel laiteux, sous les épais flocons de neige.
La construction demandait de la patience et de la précision.
Elle prit son rouleau de fil de fer, des pinces et sa table se retrouva couverte de têtes, de jambes, de bras en vrac, en attente de devenir humains. Il lui avait fallu tordre, couper, cisailler, recourber pour donner vie à ces pantins désarticulés. Et pour leur conférer de l’humanité, elle les momifia, les modela avec des bandelettes de papier journal encollé, plusieurs couches, elle leur inventa des rondeurs, des aspérités, un torse, des fesses, le nez en l’air.
Le lendemain, elle les réunit, les ficha sur un socle, installa les branchages qui émergeaient au-dessus d’eux. Leur proximité les tenait serrés les uns près des autres, sous la neige, les bras le long du corps, réchauffés par l’amitié, emmitouflés de blanc, dans cet espace silencieux, sourd, apaisant et serein.
Tout serait immaculé.
Deux jours plus tard, quand la sculpture fut sèche, elle attrapa sa bouteille d’encre de chine et son pinceau. Elle commença à peindre chaque branche et d’un seul coup, une pluie noire et charbonneuse se répandit sur les personnages, le velours coulait autour de leurs corps et cette densité onctueuse les soudait et les unissait.
Une onde de laque épaisse les enveloppait.
Ils étaient au milieu de la forêt comme elle les avait imaginés dans ses nuits sombres.
Elle aimait cette encre lumineuse, scintillante, brillante, qui en séchant devenait mate, soyeuse et d’un noir si profond.
La peinture terminée, elle resta assise, incertaine, médusée, sidérée.
Disparu, à son insu, cet imaginaire paradis blanc.
C’était devenu un convoi mortifère.
Deux jours avant, elle avait appris que la rémission de son cancer était remise en cause.
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Carol Fouquet
Mai 2018